Quand le mouvement devient sculpture

Les ombres (1986) de Christian Boltanski, Installation au Musée de Nice, Galerie Ghislaine Hussenot, Paris.

mouvement sculptural et sculpture en mouvement

L’installation dégage d’emblée son pouvoir d’attraction. Composée de matériaux simples, carton, bouchons, marionnettes qui frétillent dans l’espace, suspendues à des fils de fer, la lumière des projecteurs met en exergue les ombres voraces, dansantes et déferlantes sur les murs. Boltanski s’inspire clairement des avant gardistes de la sculpture en mouvement, que celui-ci soit suggéré ou réel.

Les ombres est une sculpture qui fait littéralement corps avec l’espace. Cinq projecteurs, diffusant une lumière aux teintes rosées, sont disposés à même le sol et placés en forme d’arc de cercle, de façon à laisser un mètre entre chacun d’eux. La sculpture, est placée au centre du cercle. Sans dépasser un mètre de haut, les phénomènes qu’elle génère n’en sont pas moins grands. Sous une sorte de portique de fer à quatre pieds sont suspendus bouchons en plastique, morceaux de cartons, ou d’autres matériaux légers se mouvant avec aisance dans l’espace. Même si la pièce est plongée dans l’obscurité, les projecteurs font apparaitre les ombres portées des éléments en lévitation sous le portique, car l’installation est placée judicieusement dans un angle de la salle d’exposition.

Les matériaux utilisés sont évocateurs, plastiques, qui nous éloigne des codes esthétiques pour frapper de manière forte : oeuvre polychromatique, les ombres portées sont noires, obscures et mystérieuses, en plus de sembler plus grande et majestueuse sur les murs. A l’instar des sculptures réelles, ces dernières se mettent en mouvement,  dont le ventilateur situé en hors champ, et placé derrière l’installation, rythme la danse lente. L’espace est structuré sur trois plans distincts: tout d’abord, les projecteurs, puis la sculpture, enfin, les ombres, ahurissantes, continuité même de la sculpture. La lumière laisse entrevoir les couleurs pâles, ténues des matériaux du portique de fer, et fait grandir leurs ombres à l’arrière, réelles et vivantes. Cette installation, sans socle, lui confère une caractéristique contemporaine et tout à fait originale. Le spectateur peut allègrement circuler autour d’elle, totalement immergé.

Ce portique, dont les sculptures géométrique nous rappelle l’art minimal, est une véritable déshumanisation. C’est une sorte de rituel, voué au hasard du vent soufflé par le ventilateur. Les ombres des squelettes sont aussi les reflets de la mort, d’un au-delà incontrôlable, pour autant présent à l’esprit de chacun. Boltanski travaille sur la mort, le memento mori, sur les questions existentielles de l’homme, à l’instar de ses monuments, qui sont un hommage aux enfants déportés durant la seconde guerre mondiale.

Christian Boltanski, Monument: Les enfants de Dijon, 1986.
Christian Boltanski, Monument: Les enfants de Dijon, 1986.

Les couleurs, uniquement présentes sur les sculptures elles-mêmes, mettent en exergue le cercle éclairé. Boltanski mêle recherche sculpturale mais également photographie, montrant la dislocation du mouvement. En plus de prendre ce dernier comme référence, il s’agit là d’une composition géométrique formelle, relevant d’une construction de l’espace. La sculpture est libre est agit de manière autonome, cependant, la scénographie est particulièrement réfléchie. Les fils éclairés par la lumière pourraient symboliser la vie, le souvenir, pouvant être rompus à tout moment. De même, les sculptures aux allures biomorphe, s’anime en un manège, qui nous mène dans un entre deux mondes: entre palpable et impalpable, matériel et immatériel.

Par les matériaux utilisés, Boltanski se rapproche de Calder et notamment de son Cirque, mais également de Tinguely. Tomas Saraceno, avec ses Spiders, oblige le spectateurs à enjamber les fils tendus de ses sculptures. La perte de repère est également présente dans le Jardin d’Hiver d’un Jean Dubuffet, où le sol est en fait une continuité du mur. De la même manière l’oeuvre de Boltanski permet un corps-à-corps avec ses installations.

Tomas Saraceno, "On Space Time Foam."
Tomas Saraceno, « On Space Time Foam. »
Pol Bury, 4087 cylindres érectiles, Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP
Pol Bury, 4087 cylindres érectiles, Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP

Dans Cysp 1, Nicolas Schöffer, l’ombre est le matériau de la sculpture, qui est d’ailleurs constituée de plusieurs couleurs, assimilable à la démarche de Boltanski. La sculpture immersive est désormais au coeur de l’art contemporain. Le visiteur vit, à coups sûr, une expérience unique. Cette immersion est présente dans les oeuvres de James Turell ou de Bruce Neuman et sa série des Corridors. Les écrans placés à leurs extrémités illustre l’éloignement de l’homme et de son moi, à mesure de son avancée linéaire dans les couloirs. Pol Bury introduira lui aussi la notion d’un mouvement, et jouera sur le sens de la vue et les illusions optiques. A l’aide d’un moteur placé sous la sculpture, ses 4087 cylindres érectiles se déploient lentement, tandis que l’oeil du spectateur ne parvient pas à se poser sur l’un d’entre eux. L’oeuvre des Ombres de Boltanski interroge donc la notion d’exposition en soulevant des enjeux psychanalytiques et philosophiques.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *