La question de l’identité à travers l’histoire du portrait photographique
Après avoir été un moyen formel de l’expressivité pure et sans artifice, le portrait – et par extension l’identité qu’il renferme- devient un support documentaire un journal vivant qui permet de témoigner sur une société donnée. Il quittera cette fonction pour devenir une véritable méthode exploratoire que la vie peut quitter à tout moment.
« La photographie a pour but d’expliquer l’homme à l’homme » disait Edward Steichen, pionnier de la straight photography. En effet, effectuer un portrait photographique consistait avant tout en un moyen d’enregistrer l’identité, en tant que « preuve juridique. »
Puis, Nadar l’éleva au rang d’art. En 1930, les studios Harcourt portraituraient les stars, en leur attribuant une beauté lisse et ineffable. Mais à partir de 1960, on assiste à un tournant quant au questionnement de l’identité du modèle.
Quelles évolutions l’identité à t elle traversée de 1930 à aujourd’hui ?
A partir de 1960, les artistes se concentrent pleinement sur l’identité physique et psychique du modèle, cherchant à sonder son identité, à faire tomber le masque apparent. Richard Avedon est l’un des premiers à avoir participé à la libération des modèles des codes de la représentation. Ses photographies dévoilent des femmes dans toute leur nudité, leur « identité révélée ». Quant aux mannequins d’Helmut Newton, celles ci déambulent devant l’objectif, dénudées, dépourvues de tout artifice.
Philippe Halsman, lui aussi, débarrassera ses modèles de cette « apparence sociale », cette retenue dans laquelle l’homme se trouve emprisonné. Ce dernier à recours à une technique particulière appelée « jumpologie ». Cette série photographique unique laisse voir des modèles dont l’expression se détend, perdant de fait leur contenance, lors de cet instant suspendu.
Et c’est grâce à cela qu’il met en valeur la spécificité des visages. D’ailleurs, son travail ne va pas sans rappeler celui d’un Marc Trivier qui, lui, allonge le temps de pose avant de capturer l’image au moment où le modèle s’y attend le moins. Nous avons donc à faire à une personnalité unique, non à une expression contrôlée.
Rineke Dijkstra, avec sa série Beaches, ou Young Mothers réalisée en open flash, fait poser des individus à un moment charnière de leur vie. Les mères portant leur enfants dans leurs bras semblent vulnérables et fortes à la fois. Cette dualité est présente dans la série « Soldiers », de Suzanne Opton. Les soldats de retour de la guerre d’Irak sont allongés sur le sol, les yeux fermés. La capture est effectuée lors de ce moment d’introspection et d’abandon. Marc Garanger, qui eut pour mission de répertorier les femmes durant la guerre d’Algérie, fera également l’expérience de regards « reçus à bout portant » dans sa série de photographie « Femmes Algériennes ». Il que ce regard, en s’inscrivant dans tout leur vécu, le poids des traditions, le sentiment de haine et de colère, devient alors le « symbole de leur protestation silencieuse. »
Par la suite, le portrait photographique apparaitra comme un témoin de la société, un aperçu documentaire sur les êtres hors normes, les homosexuels, les handicapés… Le sujet, après avoir laissé transparaitre son émotion, fait partie d’un tout, d’une collectivité qui ne lui laisse d’autre choix que de se fondre dans un décor préconçu ? Ce seront Diane Arbus, Cindy Sherman, Kimiko Yoshida, qui rythmeront cette période.
La série « Woman of Allah » de Shirin Neshat témoigne de la place occupée par la femme dans la religion musulmane. L’artiste illustre la soumission de ces femmes aux règles strictes de leur pays, par le fait de strier son visage de signes écrits, de calligraphies farsi. Michel Journiac (et son fameux Hommage à Freud) prend l’apparence de ses parents dans une série de photographie étonnante, tandis que Roland Fischer demandera à des femmes issue de la haute classe américaine de poser dans leurs piscines de luxe : leurs visages, sur un fond bleu neutre, est inexpressif. Clichés prisonniers d’eux mêmes, elles fixent l’objectif mais leur expression indifférente est troublante.
Enfin, le portrait entre dans une période de « déshumanisation » et d’expérimentation par les artistes. Progressivement, le questionnement sur l’identité physique du sujet se perd. On ouvre la voie à l’exagération, à la photographie plasticienne, à la mise en scène caricaturée. Loretta Lux et ses êtres microcéphales, Inez Lamsweerde et sa série « Femmag », Vinooth Matadin, Nancy Burson et Désirée Dolron, John Coplans et ses monolithiques … Autant d’artistes travaillant sur l’identité dissociée, le corps émotion, le corps sculpture.