Exposition Beauté Congo/ Congo Kitoko
Fondation Cartier pour l’Art Contemporain, jusqu’au 10 Janvier 2016
Beauté Congo est probablement l’exposition à ne pas rater cette année. L’on regrette peut-être une communication un peu trop « forcée » sur cette exposition qui ne manque pas d’envergure certes, mais qui aurait mérité un peu plus de mystère. Tout de même, ses artistes n’ont bel et bien rien à envier à « l’art contemporain », étiquette où l’on range parfois arbitrairement certaines productions artistiques actuelles. Oui, l’art congolais se veut intimement lié à son pays, il « est » le Congo : dans toute sa complexité, son histoire, sa tradition. Mais l’exposition pose aussi un autre regard sur le monde d’aujourd’hui, notre monde, et tout particulièrement sur sa politique, sur nos manières de penser, nos habitudes, nos représentations erronées.
Divisée en plusieurs salles, en allant des productions des plus récentes au précurseurs au sous sol de la Fondation, les artistes de la jeune génération, parmi lesquels Kura Shomali, ou encore Pathy Tshindele nous attire dans leur univers « street art », foisonnant de couleurs, de figures précises et assumées. Dans la série Un regard, les photographies poétiques de Kiripi Katembo montrent Kinshasa à travers ses propres reflets, produits par les flaques d’eau qui jalonnent la ville.
Quant aux peintres populaires, ils discutent la vie sur un ton presque philosophe. Les peintures parviennent à nous faire sourire : les épidémies, la maladie, le viol, les inégalités, sont évoquées d’un ton humoristique, presque sarcastique. Si Jan Fabre défend une démarche artistique évoquant « la mort pour mieux expliquer la vie », les artistes présents pour cette exposition font le choix de peindre la vie pour évoquer les nuances négatives d’une société congolaise qui se transforme de jour en jour, par l’innovation technique et l’arrivée d’internet.
Moke, Pierre Bodo, Chéri Chérin (Les Nouveaux Maitres du monde) ou encore Chéri Samba avec son Hommage aux anciens créateurs (dénonciateur de la question des droits d’auteurs et le non respect des conditions de vente des arts dits « anciens ». L’art aborigène d’Australie avait rencontré le même problème lorsque les pays d’occident se sont mis a commercialiser certaines oeuvres après avoir pris conscience de leur valeur dans les années 60 et 70) racontent des scènes de la vie de tous les jours, sans omettre d’y glisser, chaque fois, un message éminemment fort, profondément engagé.
Jean Depara s’amuse à dépeindre des portraits de l’actuelle Kinshasa, alors appelée Léopoldoville, en se nourrissant de l’ambiance de la vie nocturne et de la musique s’évadant des clubs. Il deviendra en quelque sorte le porte parole « visuel » des Bills, ou Yankees, bandes de jeunes congolais issus des quartiers populaires. Un autre pan de mur est consacré à l‘Ecole d’Elisabethville, l’académie d’Art Indigène, fondée par Pierre Romain Desfossés, nommée plus communément « atelier du Hangar ». Les artistes Bela, Philipi Mulongoy, Mwenze Kibwanga (qui offre un travail magnifique!) ou encore Sylvere Kaballa en feront partie. L’académie prendra un essor tel que de véritables célébrités y feront leurs premières esquisses et toiles: Mode Muntu, et Jean-Bosco Kamba.
La dernière salle est consacrée aux précurseurs. En 1926, l’administrateur belge Georges Thiry découvre des cases peintes à Bukama au Katanga, et fait la rencontre d’Albert Lubaki et de sa femme, Antoinette Lubaki. Leur art est davantage épuré et figuratif que celui de Djilatendo, autre artiste et tailleur dont Thiry fera la connaissance, exposé en 1931 aux côtés d’un certains grands noms du monde de l’Art, entre autres Magritte et Paul Delvaux, à la Galerie du Centaure de Bruxelles.
L’exposition propose également un parcours musical : au premier étage, des bancs sont installés le long des baies vitrées, et ont été placés sous de grandes enceintes en forme de parasols. Elles diffusent des récits histoires de société, et des interactions hommes femmes en son sein, sur fond de rythmes dansants. C’est le cas de la chanson « Mascara », ou « femme surchargée », artificielle, aux larges hanches et aux cheveux colorés, qui est le canon de la beauté urbaine au Congo. L’histoire du Congo, l’assassinat de Patrice Lumumba, le dialogue entre un père et son fils à propos de la délinquance, tout semble y être passé au crible. Des chansons jailli une seule et même voix, le cri du coeur d’une Afrique qui rêve d’une autre Afrique, mais aussi celle d’un pays fier d’être tel qu’il est et a toujours été.
Une autre exposition intéressante à voir à Bordeaux, plus de détails ici
Image à la une : Mwenze Kibwanga