Monsieur Jean Dubuffet
Gemäldegalerie Berlin / Octobre 2015
L’exposition temporaire sur Jean Dubuffet se tient actuellement à la Gemaldgalerie de Berlin. Elle retrace les multiples activités artistiques de cet artiste prolifique, curieux et novateur. Peintre, illustrateur, sculpteur et avant tout plasticien, Jean Dubuffet est le premier théoricien d’un style d’art nommé « Art Brut », qui apparaît au 20ème siècle.
La rétrospective d’un artiste français en Allemagne est particulièrement intéressante du point de vue de la réception de l’œuvre. Si les français détaillaient pleinement chaque couverture de livre, chaque poème écrit, les visiteurs d’origine allemande ne pouvaient en saisir que l’aspect esthétique.
Ce « décalage » réceptif ravive le débat concernant la compréhension totale ou partielle de certaines œuvres à l’heure actuelle. Faut-il tout comprendre d’un artiste pour l’apprécier ? L’insaisissable n’ouvre t-il pas la voie à une autre interprétation, plus riche et créative en elle-même ?
Avant de pénétrer dans la salle principale, plusieurs numéros des Cahiers de l’art brut nous laisse entrevoir le travail éminemment intellectuel engagé par l’artiste, au delà de ses tableaux et illustrations qui suivent.
L’exposition présente le personnage selon quatre sections : « street art », «Wild textures», « Hourloupe » et « Jargon ». Jean Dubuffet use en effet d’un langage visuel, qui est en fait une réminiscence du graffiti, avec des lignes simplifiées à l’extrême, et un geste spontané. S’il est surtout connu pour son Jardin d’Hiver, actuellement exposé au Centre Georges Pompidou à Paris, espace cabossé dans lequel le spectateur peine à avancer sans trébucher, il marqua également la sphère intellectuelle avec les illustrations de certains textes d’écrivains célèbres, comme celui de Jean Paulhan, La métromanie ou les dessous de la capitale, ou encore Les Murs d’Eugène Guillevic, la Djingine du Théopheles d’André Martel.
L’exposition nous permet de découvrir les lieux où Dubuffet à le plus souvent exposé, la Galerie René Drouin en premier, mais aussi au Grand Palais, au Guggenheim, à Venise ainsi que dans des galeries de Chicago. Membre du collège de Pataphysique, avec Boris Vian et Marcel Duchamp, désignée comme étant « la science des solutions imaginaires, science des solutions particulières, science des exceptions », Jean Dubuffet est aussi l’auteur de La vache au pré noir.
Les « assemblages d’empreintes » nous amène vers la partie « Wild texture », montrant une autre facette de l’artiste, celle d’un artiste de la matière, de la griffure, du « raw », dont les Texturologies ou encore les paysages sont les illustrations parfaites. Le texte « La Fleur de barbe » est un prétexte à l’apparition du son dans l’exposition : des bribes de poèmes déclamés nous parviennent d’un premier magnétophone, tandis qu’un deuxième, de l’autre côté de la cloison d’un mur, nous entraine vers l’écoute des « musiques expérimentales », chères à J. Dubuffet comme à Asger Jorn.
Ces expériences musicales ont laissé jaillir, à leur tour, des dessins, des motifs, fruits de cette « musique brut ». La musique cacophonique laisse place à l’esthétique de l’Hourloupe (contraction des termes hululer et hurler), mot inventé par l’artiste pour qualifier ses huiles sur toiles, praticables, assemblages et sculptures ou encore architectures ou constructions, essentiellement composées de rouge, de bleu et de blanc.
Mais Dubuffet voulait également inventer une nouvelle manière d’écrire, une expérience littéraire, un « jargon » souvent intraduisible (La lunette Farcie, hommage à P-A Benoit) dont Claude Simon dira, en lisant Bonpiet Beauneuille : « Vous avez trouvé là un moyen de forcer à une lecture aigüe parce que lente, le sens ne ressortant qu’au second degré pour ainsi dire… en obligeant le lecteur à décrypter pas à pas, vous l’amenez à désavoir pour voir ».
Ainsi, l’exposition se veut un panorama complet de ce que l’artiste souhaitait mettre en place d’un point de vue théorique et créatif, à une époque d’une richesse inouïe.