Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört
Pina Bausch, Théâtre du Chatelêt, Paris
La terre. Pina Bausch aimait la terre. La terre est l’essence de l’homme. C’est la raison pour laquelle, peut être, elle aime y faire déambuler ses danseurs. Le spectacle se compose d’une série de performances alternant mouvement, immobilité, lenteur et vitesse. Ainsi, ce qui ressemble d’emblée à une pièce de théâtre commence. En nombre, des hommes et des femmes longent les murs avant de se lancer dans une course effrénée, rasant les murs.
Certains s’arrêtent, regardent derrière eux : repartent de plus belle. Ils s’échappent, fuient l’invisible, se pourchassent. Le silence est troublé par le seul bruit de leurs pas rapides sur le sol. Dans le silence, toujours, un homme en slip de bain rouge affublé d’un bonnet, s’avance au milieu de la scène, d’enjambées lentes. Il gonfle un ballon rouge pendant si longtemps que celui-ci fini par éclater. Il en gonfle alors un autre, qui éclate à son tour.
Il repart, revenant cette fois-ci accompagné de deux autres hommes. L’un d’eux porte dans ses bras, comme lui, des ballons multicolores. Le troisième homme, en chemise blanche, s’allonge devant eux, dans la terre. Tandis que l’homme au bonnet poursuit son activité première, l’autre vient placer les ballons multicolores sous le corps comme ensommeillé de l’homme allongé. Ce dernier, bientôt infiniment léger, finit par flotter sur les ballons comme sur un nuage.
Tout à coup la scène n’est qu’agitation. D’un côté, une femme se débat, hurle en essayant de s’extraire des griffes des hommes qui l’obligent à embrasser ce qui semble être son promis, ramené lui aussi de force. Les lèvres se frôlent et se séparent. Nous sommes alors projeté dans une scène de noyade, dans laquelle un bateau semble avoir coulé peu auparavant. Une femme, à plat ventre, lève les bras au ciel : des hommes font mine de plonger pour la secourir.
Après l’inquiétude, la fin de l’effort, vient alors un épisode d’une violence sourde, implicite. Une femme s’avance tête baissée au milieu de la scène. Elle subira alors, toujours tête baissée, puis dos nu, les coups de stylo rouge assenés par l’homme au bonnet, après qu’elle eut relevé sa robe. Son visage nous restera inconnu.
« Ca, c’est la classe! » s’écrit une petite dame perchée sur une chaise, la voix rauque, après avoir observé la salle. « Des bras… comme ça, et des hanches… Tu meurs. Tu meurs! ». Elle emportera sa chaise un peu plus loin, au milieu du public, et recommencera la description comique de cet homme qui semble l’émouvoir au plus haut point.
Une fois la scène recouverte de sapins découpés à la racine, une jeune femme vient déambuler entre ces corps naturels avant d’être rejoint par une autre, qui amène avec elle une couette blanche et un oreiller. Après s’être allongée, cette dernière se retourne en s’adressant au public de façon inattendue en disant, d’abord calmement, « Come On! » , interjection qui, sans réponse, finira par la faire trépigner d’impatience.
Pina Bausch était résolument fascinée par la beauté, notamment la beauté féminine. Cheveux long, talons, robes décolletées sont à l’honneur : le spectacle est avant tout un hommage à la femme, qui, radieuse, sait élever la voix et rester présente même dans le silence. Toutes ses chorégraphies sont une illustration de l’obsession, de la fragilité, mais également de la puissance de l’Homme, en mettant en valeur les corps de ses danseurs, en les animant autrement.
La bande son, oscillant entre Billie Holliday, Boris Vian, et Gerry Mulligan, nous plonge dans cette atmosphère très spéciale propre à Pina, qui ne va pas sans nous rappeler le merveilleux film réalisé par Wim Wenders à son sujet. Le spectacle joue d’ellipses temporelles et de revirements de situations, abordant violence et joie, comique et tragique, d’une singularité qui est celle d’une chorégraphe intemporelle.
Crédit photo : © Olivier Look