Conférence dans le cadre des Pauses Photographiques, organisé par l’espace saint Cyprien, Toulouse
Fiction et Réalité: auto fiction et mythologie personnelle
29 Avril 2015
Fiction et réalité sont souvent deux entités que l’on oppose spontanément. Mais est-ce réellement justifié? Comment s’articulent-ils au sein du médium photographique? La conférence « Fiction-Réalité, autofiction et mythologie personnelle » se proposait de répondre à quelques unes de ces questions.
Dominique Roux a tout d’abord justement souligné que les choses sont souvent issues d’une double invention. En citant André Bazin, il nous rappelle que le cinéma provient tout à la fois des Frères Lumières et du film documentaire, que de Georges Méliès, premier grand personnage à avoir introduit le trucage dans le cinéma. Par la suite, Niepce et Daguerre ont mené des recherches dans le but de perfectionner le daguerréotype, procédé qui fut utilisé pour des photographies officielles à valeur documentaire, et dont les évolutions nous rapprochent de la fiction au fil du temps.
Après une rapide remontée dans l’histoire, une référence à Barthes et notamment à « l’effet de réel et l’effet de fiction » semblait inévitable. (Mythologie, La chambre claire) La distinction se fait ici dans les « effets » et non dans l’acception des deux termes précédents. La guerre 14-18 fut la première guerre illustrée. Et dès l’invention de la photographie, celle-ci se montre sous forme de fiction.
L’artiste Alexander Rodtchenko va, par exemple, faire de la photographie une sorte de propagande, en montrant un prolétaire en tant que héros social, grâce à une esthétique construite, tenant la barre de la révolution. Cet artiste, qui faisait partie de Ecole constructiviste, produit une image dynamique au caractère de propagande. Après lui, des artistes bien connus tels que Dorethea Lange et sa Migrant Mother, Robert Doisneau, Robert Capa, et sa photographie issue de la Guerre D’espagne dont Bresson dira « la mort saisi le vif » ou encore Eddie Adams (Vietnam, 1968, l’Assassinat d’Oswald) et sa mise en fiction des dictateurs pour ramener la réalité à leur propre politique, démontre que le caractère frictionnel est bel est bien présent, bien qu’inattendu.
Le World Press Photo lui même, à été confronté au problème de la mise en scène des photographies dans l’attribution juste des prix. Cette année, c’est une photographie de Giovanni Troilo qui a fait débat. Le prix lui a été attribué puis retiré, sous prétexte d’une mise en scène. Le cousin du photographe lui avait en effet permis de le suivre cette nuit là et le World Press photo affirmait que « Le cousin avait prévu de faire l’amour dans sa voiture… ». Mise en scène volontaire? Fausseté? Triche? Réel? La conférence à ainsi poursuivie son cours en évoquant Tendance floue, un collectif de photographes – dont Antoine d’Agata fait partie – qui revendique et assume la mise en fiction de l’image document.
« Toute image est l’image d’une image »
On le voit bien avec Jean Pierre Rey, et sa photographie Mai 68, s’en réfère a Delacroix comme Martin Argyroglu avec Je suis Charlie. Eugène Smith (Minamata : Tomoko) s’inspire de la Pieta de Giovanni Bellini. Kathy Grove reprend Dorothea Lange, transformant la Migrant Mother en une jeune femme attirante et à la peau lisse. Les photographes plasticiens s’amusent à revisiter les photographies. Yasumasa Morimura prend la place de tous les personnages, incarnant tous les acteurs. Olivier Blanckart reprendra également la Sharecropper’s Family de Walter Evans.
« Il y’a des images trop belles pour être honnêtes » dit Raymond Depardon à propos de la Photographie Ethiopie de S. Salgado (1985). Les photographies qui en « rajoutent trop » deviennent-elles des fictions écoeurantes ? Faut-il faire preuve « d’économie visuelle » comme le dit R. Depardon? Ne vide-t-on pas la réalité de sa substance lorsque la nature des choses est métamorphosée à l’excès? « L’art à pour but de plaire » disait Racine. Certes, mais comment dissocier le plaisir de la vérité? Si le dessin renvoie à une certaine maîtrise, la photographie irait peut-être parfois trop loin, en basculant dans un réel qui ne ressemblerait, justement, à rien.
Ces questions posées, Dominique Roux à notamment les « peintures d’histoires ». Un peintre comme David incorporait déjà la fiction dans ses peintures. Jeff Wall, lui, dénonce vision la réalité de la guerre et le photo journalisme sensationnel. Ces photographies sont réalisées en studio. L’image de fiction finit par traiter une réalité. Deux écoles vont alors s’affronter : l’école de Boston qui questionne la réalité, et l’école de Dusseldorf qui prône l’objectivité absolue. Mohamed Bourouissa prend des photographies dans les cités, en les ayant écrit au préalable, pour être sûr de capter des situations à l’acmé de leur tension. Beth Yarnelle Edwards prend des clichés de famille sans intervenir, où les membres deviennent les acteurs de leur propre existence. Valérie Jouve étudie l’univers urbain par rapport aux personnes dans une série de postures. Edouard Levé, photographe et écrivain, reconstruit des scènes de rugby avec des personnes lambdas dans ses Reconstitutions, quand Philippe Ramette s’installe dans plusieurs univers en utilisant son corps comme une sculpture immobile et rotative dans des Contemplations Irrationnelles.
Bachelot et Caron expérimentent l’horreur à travers des mises en scènes atypiques et ensanglantées dans Crimes et Délices. Puis, plusieurs artistes explore la voie de la mythologie personnelle, tels que Claude Cahun (Autoportraits) Francesca Woodman (Polka Dots) Alix Cléo Roubaud (Autoportrait) Jacques Roubaud (Si quelque chose noir) Elina Brotherus (Autoportrait) Denis Roche (Sable D’Olonne 1984), ou encore Jean Claude Belegou (Série de tous les jours). Ces derniers étudient le rapport a soi même à travers l’autoportrait, la mythologie amoureuse, le surréalisme, tout en se focalisant sur une dualité entre présent et passé.
Après la mythologie, les artistes se sont travestis. Michel Journiac et son hommage à Freud est peut être l’exemple le plus parlant : mais il ne fut pas le seul. Florence Chevallier bouleverse les codes en montrant des situations de couple qui s’éloigne nettement d’un bonheur idéal, trop facilement accessible. Aglae Bory veut prouver qu’il n’y a pas de « nature maternelle », en marquant la rupture entre elle et son enfant. La figure maternelle est également au centre des travaux de Katharina Bosse, qui se place en décalage avec l’image classique de la vierge à l’enfant, dans un univers emprunt de burlesque. Bert Sissingh et Vibeke Tandberg proposent des mythologies quotidiennes, et entrent dans une sorte de délire schizophrénique où l’artiste rencontre son double.